La lettre de licenciement fixe les limites du litige et le juge doit s’y tenir. Mais depuis les ordonnances réformant le Code du travail, les juges doivent également prendre en compte l’éventuelle précision ultérieure apportée par l’employeur. Cette évolution impacte immédiatement les conseillers prud’hommes dans leur appréhension de la lettre de licenciement, mais également, et en premier lieu, le salarié licencié. A-t ’il intérêt à demander la précision, sous quelle forme, et dans quel délai ?
- Rappel des règles
La lettre de licenciement doit contenir« l’énoncé du ou des motifs invoqués par l’employeur »(1), motifs devant être précis, c’est-à-dire reposer sur des griefs matériellement vérifiables (2). L’absence d’énonciation d’un motif précis équivaut à une absence de motif, rendant ainsi le licenciement sans cause réelle et sérieuse (3).
Ces règles interdisaient à l’employeur, après la notification du licenciement, d’ajouter de nouveaux motifs, d’en changer ou encore de préciser un motif qui aurait été insuffisamment explicité dans la première missive. Par ricochet, le juge devait s’en tenir au contenu de la lettre, même s’il invoquait, par exemple, un nouveau motif qui aurait pu justifier le licenciement. L’employeur avait toutefois la possibilité « d’invoquer toutes les circonstances de fait qui permettent de justifier ce motif » (4).
C’est précisément sur ces principes que les ordonnances réformant le Code du travail sont venues assouplir les règles. L’employeur a la possibilité, suite à la notification du licenciement, de préciser le ou les motifs de licenciement contenus dans la lettre (5). Le juge devra quant à lui prendre en compte, dans le cadre du contentieux, la lettre de licenciement, ainsi que les précisions éventuelles apportées par l’employeur.
L’ensemble de ces règles sont applicables à tous les licenciements prononcés à compter du 18 décembre 2017.
- Une précision des motifs de licenciement sous conditions
L’article R. 1232-13 du code du travail fixe les conditions et les délais dans lesquels les motifs de licenciement pourront être précisés :
– le salarié a la possibilité, dans les 15 jours suivant la notification du licenciement, de demander à l’employeur des précisions sur les motifs énoncés dans la lettre de licenciement ;
– l’employeur souhaitant apporter des précisions dispose quant à lui de 15 jours pour le faire, par lettre recommandée avec avis de réception ou par lettre remise en main propre contre décharge, à compter de la demande du salarié ;
– l’employeur peut aussi, de sa propre initiative, préciser les motifs de licenciement, dans le même délai et les mêmes formes.
- Quelles conséquences pour le salarié qui n’aurait pas demandé la précision des motifs ?
Avant l’entrée en vigueur de ces règles nouvelles, une lettre de licenciement qui ne comportait pas l’énoncé d’un motif précis conduisait les juges à qualifier le licenciement comme étant sans cause réelle et sérieuse. Le salarié obtenait quant à lui l’indemnisation du préjudice lié à l’absence de cause réelle et sérieuse au licenciement.
Cette règle est aujourd’hui modifiée de la façon suivante par l’article L. 1235-2 du code du travail :
– le salarié qui n’aurait pas demandé à l’employeur de préciser les motifs de licenciement ne peut plus se prévaloir d’une insuffisance d’énonciation des motifs dans la lettre pour faire reconnaître que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse ;
– l’insuffisance de motivation de la lettre constitue une irrégularité sanctionnée par l’octroi d’une indemnité ne pouvant excéder 1 mois de salaire.
Ce qui signifie qu’elle ne peut plus, à elle seule, priver le licenciement de cause réelle et sérieuse.
Attention! Cela ne signifie pas qu’elle ne pourra pas entraîner la reconnaissance d’un licenciement injustifié!
Les juges peuvent décider que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse (6), sur la base d’autres éléments que la seule insuffisance de motiviation. Dans ce cas, le préjudice découlant du vice de motivation de la lettre sera réparé par l’indemnité allouée conformément à l’article L. 1235-3 du Code du travail, c’est-à-dire l’indemnité due en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.
- D’où la nécessité pour le salarié de demander la précision des motifs pour préserver ses droits
Le salarié n’a pas l’obligation de demander à l’employeur de préciser le ou les motifs retenus à son encontre. Néanmoins, selon nous, il a tout intérêt à le faire dès lors qu’il est en désaccord et/ ou ne comprend pas les motifs de licenciement retenus :
En effet, en ne demandant pas la précision, le salarié se prive de la possibilité d’invoquer l’absence de cause réelle et sérieuse du fait que la lettre de licenciement est insuffisamment précise.
De plus, la lettre de licenciement éventuellement précisée fixera les limites du litige. Cela devrait a priori fermer la possibilité pour l’employeur d’apporter des précisions nouvelles devant le juge. A l’inverse, ne pas demander la précision pourrait rendre une partie du contentieux imprévisible, le salarié ne connaissant pas les éléments sur lesquels l’employeur pourra s’appuyer.
- Agir pour ne pas subir la règle nouvelle
Ainsi, dès lors que le licenciement est considéré comme injustifié, ou bien que les motifs énoncés paraissent vagues ou insuffisamment précis, le salarié, seul, ou bien accompagné d’un défenseur syndical, d’un conseiller du salarié, d’un représentant du personnel ou d’un délégué syndical, doit avoir le réflexe de demander dans les 15 jours suivants la notification, la précision du motif de licenciement.
Attention, ce délai est court,et le salarié qui vient d’être licencié subit un choc et n’aura pas systématiquement le recul nécessaire pas réagir immédiatement. Néanmoins, il en va de son intérêt. C’est donc aux représentants et militants CFDT, conseils juridiques de lui conseiller.
- Le contenu de la demande de précision des motifs de licenciement
Dans la forme, la demande de précision des motifs doit être la moins précise possible. Le salarié doit se contenter de demander à l’employeur de préciser le ou les motifs de licenciement, sans aller au-delà ! C’est seulement qu’une fois que l’employeur aura apporté sa précision que le salarié pourra envoyer une lettre de contestation du licenciement, précise, détaillée et circonstanciée, comme cela était déjà couramment pratiqué précédemment.
Vous trouverez un modèle de lettre de demande de précision qui pourra aider conseillers du salarié, défenseurs syndicaux, représentants du personnel et délégués syndicaux confrontés à un licenciement potentiellement contestable en justice.
(1) Art. L.1232-6 C. trav.
(2) Cass.soc., 14.05.96, n°94-45499 : « Qu’en statuant ainsi, alors que les griefs susvisés, matériellement vérifiables, constituaient les motifs exigés par la loi, la cour d’appel a violé le texte visé ci-dessus ».
(3) Cass.soc. 29.11.90, n°88-44308 ; Cass.soc., 17 janvier 2006, n°04-40740.
(4) Cass.soc. 15.10.13, n°11-18977 ; Cass.soc.1.03.17, n°15-22156.
(5) Comme l’y autorise aujourd’hui l’article L. 1235-2 du code du travail
(6) Cela sera le cas lorsque les juges considéreront par exemple que le motif retenu à l’encontre du salarié n’est pas existant, ou encore n’est pas suffisamment important pour justifier la rupture du contrat.